Dans l’industrie de la mode et du luxe, certaines figures incarnent à elles seules l’équilibre subtil entre héritage et modernité. Éléonore Baudry, présidente de Figaret Paris, appartient à cette génération rare de dirigeants capables de préserver l’âme d’une maison patrimoniale tout en la propulsant avec intelligence dans l’air du temps.
Depuis sa création en 1968, Figaret s’est imposée comme une référence de la chemise française, synonyme de coupes impeccables, de matières d’exception et d’un chic discret. La marque a entrepris une transformation gracieuse, affûtant son image, modernisant ses collections et séduisant de nouveaux publics en France comme à l’international.
Dans cet entretien exclusif, Éléonore Baudry partage avec passion et finesse sa vision du métier, son goût pour le détail, son engagement pour une mode plus durable et sa passion pour l’art de la chemise. Une conversation captivante avec une dirigeante qui croit à la puissance des gestes justes, des mots choisis et des choix assumés, dans un secteur où chaque nuance compte et où l’élégance reste, plus que jamais, une affaire de sincérité.

LuxuryActivist (LA) : Chère Éléonore, j’ai observé votre parcours et vous avez beaucoup voyagé. Qu’avez-vous tiré de ces expériences ? Y a-t-il un enseignement, un mantra, un principe qui vous guide aujourd’hui chez Figaret
Éléonore Baudry (E.B.) : J’ai eu la chance de travailler dans de nombreux pays : en Asie, en Égypte, mais surtout longtemps aux États-Unis. Ce qui m’a le plus marquée, c’est la prise de conscience que, malgré mes années passées dans des entreprises américaines, malgré ma maîtrise de l’anglais et mon amour pour cette culture, je n’étais pas américaine. En arrivant sur place, j’ai été surprise par certains aspects inattendus, qui ont challengé mes idées préconçues. J’en ai retenu une grande curiosité et la volonté d’aborder l’autre sans a priori.
Travailler aux États-Unis m’a aussi permis d’avoir une avance précieuse, notamment dans le digital. Quand je suis rentrée en France, j’avais deux ou trois ans d’avance, simplement parce que j’avais eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Aujourd’hui, le marché français est beaucoup plus aligné, mais cette longueur d’avance m’a énormément apporté.
LA : Et aujourd’hui, comment ces expériences nourrissent-elles votre travail chez Figaret ?
E.B. : Elles nourrissent clairement deux aspects essentiels chez Figaret : le digital, évidemment et le rapport à la marque et au retail. Chez Gucci, j’ai appris à m’imprégner de l’ADN d’une maison, à le respecter, à le faire évoluer sans jamais le trahir. Une marque est un objet fragile : il faut lui ajouter des couches, sans jamais l’abîmer. Chez Figaret, nous valorisons cet « art de la chemise » depuis 1968, et nous l’ancrons dans la modernité, sans tomber dans la mode facile. Nous sommes une marque qui chuchote, pas une marque qui crie. Quant au retail, c’est mon univers depuis toujours : j’ai débuté chez Procter, j’ai passé sept ans en conseil stratégique dans ce secteur. Nous avons 31 boutiques, ce qui représente une multitude d’interactions quotidiennes. La transformation d’une marque passe par cette attention au détail, à l’humain, à l’écoute des « signaux faibles ». Nous voulons que nos clients vivent une expérience extraordinaire, car on peut acheter des chemises partout, mais une belle expérience, c’est rare et précieux.
LA : Vous évoquiez votre retour en France avec une avance sur le digital. Comment percevez-vous aujourd’hui le positionnement de la France sur ces sujets ?
E.B. : À l’époque, il y avait effectivement un retard : l’adoption du e-commerce était plus lente. Mais le rattrapage a été spectaculaire. Aujourd’hui, la France reste un grand prescripteur, notamment dans la mode. Cela dit, je trouve que l’Italie est très forte en ce moment. Chez Figaret, nous nous inscrivons dans cette ligne : une mode hyper chic, élégante, sans logos tapageurs ni « in your face ». Nos clients recherchent des pièces de qualité, qu’ils porteront souvent et longtemps, des vêtements qui ont du sens et un vrai savoir-faire derrière eux.

LA : Quand vous êtes arrivée chez Figaret, quelles ont été vos clés pour « réveiller la belle endormie » ?
E.B. : Oui, il fallait la réveiller… mais elle était déjà très belle, c’était notre avantage ! Quand je suis arrivée en 2018, le savoir-faire et la qualité étaient bien là, mais la marque était sortie des radars. Il fallait la remettre en lumière. Nous avons travaillé sur trois axes. D’abord, l’image et la communication : il n’y avait rien de cassé, mais nous n’étions plus dans l’air du temps. Il fallait redonner de la fierté à nos clients, leur faire dire : « Je suis allé chez Figaret » avec enthousiasme. Et pour cela, il fallait assumer pleinement notre héritage classique, le revendiquer comme un atout, à une époque où l’on comprend que le classique, justement, est à la mode. Ensuite, nous avons repensé l’offre : resserrer le business, développer le casual, relancer la ligne femme de manière moderne. Enfin, nous avons travaillé sur l’expérience en boutique : fidéliser nos vendeurs historiques, ceux qui connaissent parfaitement le produit, tout en apportant du sang neuf pour incarner cet équilibre entre héritage classique et vitalité contemporaine.
LA : Figaret existe depuis 1968. Faites-vous toujours « la chemise parfaite » ?
E.B. : Oui, et de plus en plus ! Quand je suis arrivée, l’un des premiers chantiers a été de nous assurer que nos chemises étaient vraiment parfaites. Nous avons ajusté les coupes, ajouté des détails de qualité comme ajouter une couture en ascolite (double) pour renforce les boutons du col et des poignets, et nous avons renforcé les contrôles qualité dans tous nos ateliers. Cette saison, nous avons lancé la collection « Les Beaux Tissus », avec des tissus d’exception signés Albini, Thomas Mason, Canclini… les grands faiseurs italiens. Tout cela, en restant dans une gamme de prix très raisonnable, car nous ne sommes pas une marque élitiste, mais une marque de belles choses.
LA : Votre collection « Je t’aime » a attiré mon attention. L’art et la littérature occupent-ils une place importante chez Figaret ?
E.B. : Absolument. Nous avons une marque patrimoniale, ancrée dans la culture française, et nos clients sont sensibles à cet univers. Nous sommes la première marque à collaborer avec la maison d’édition Gallimard, par exemple : nous avons créé une chemise Rimbaud brodée d’un vers de « Une Saison en Enfer » — « L’amour est à réinventer » — et une chemise Antoine de Saint-Exupéry, inspirée de son univers d’aviateur, avec une poche en tissu parachute ripstop pour le plan de vol et une phrase tirée de ses lettres d’amour : « Hâtons-nous de rêver ».
Nous organisons aussi des dîners littéraires, « La Passion du Style », dans notre boutique de la rue de la Paix. Après la fermeture, en mode speakeasy, une personnalité vient parler de sa passion pour l’œuvre d’un auteur. Quant à la chemise « Je t’aime », elle s’inspire du film de Claude Sautet, Les Choses de la vie. Romy Schneider y emprunte la chemise de Michel Piccoli, et nous avons brodé « Je t’aime » près du cœur, de façon à pouvoir le cacher ou l’exposer selon l’humeur. Cette pièce est devenue iconique chez nous, collectionnée par certains clients, et c’est aussi une belle façon de faire découvrir la marque ou d’offrir un cadeau à l’être aimé.

LA : Aujourd’hui, les nouvelles générations attachent beaucoup d’importance au digital et à la durabilité. Comment Figaret évolue-t-elle sur ces deux terrains ?
E.B. : Le digital est crucial, bien sûr, pour notre e-commerce qui livre partout — y compris en Suisse depuis longtemps — mais aussi en boutique : si un client ne trouve pas une pièce, nous la commandons et la faisons livrer chez lui, souvent dès le lendemain. Pour la durabilité, nous avons pris des décisions fortes : nous produisons exclusivement en France, en Europe et au Maghreb — jamais en Asie — et nous n’utilisons pas l’avion pour nos transports. Mais surtout, nous voulons que nos vêtements soient portés souvent et longtemps : c’est le vrai luxe, et la meilleure démarche RSE. Nous proposons même un service de réparation via notre site internet. Un produit de qualité mérite de durer, c’est aussi simple que cela.
LA : Vous avez entamé une expansion à l’international, avec une première boutique à Bruxelles, puis maintenant à Genève. Comment s’inscrit-elle dans votre développement ?
E.B. : Nous avons pris cinq ans pour restaurer la superbe de la marque en France, et aujourd’hui, nous sommes prêts à traverser les frontières. La Belgique était une évidence : nos clients belges venaient déjà à Paris, à Lille, et achetaient beaucoup en ligne. La Suisse, c’est pareil : nous avons beaucoup de clients suisses, et Genève est une ville internationale où la chemise a une vraie place. L’idée, c’est de pouvoir raconter notre histoire en boutique, pas seulement sur un site. Ensuite, nous avons Londres en ligne de mire pour l’année prochaine. Nous avons un positionnement unique, qui peut séduire même dans un pays de chemises, car nous ne vendons pas les mêmes.
LA : Vous occupez également un rôle clé au sein du conseil d’administration de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin. En quoi cette expérience nourrit-elle votre regard sur la mode féminine chez Figaret ?
E.B. : Ce rôle me permet de rester attentive aux évolutions de la mode féminine et aux besoins réels des femmes, dans leur quotidien professionnel comme personnel. Chez Figaret, nous voulons proposer des chemises qui accompagnent les femmes dans toutes les dimensions de leur vie : des pièces élégantes, mais aussi polyvalentes et confortables. Nous mettons un soin particulier dans le choix des matières, des coupes, des détails, pour offrir des pièces intemporelles. La mode doit être à la fois un moyen d’expression et un allié du quotidien : une femme ne devrait jamais avoir à choisir entre élégance, confort et authenticité.
LA : Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose, et que je ne vous ai pas encore posée ?
E.B. : Vous auriez pu me demander : « Avez-vous un lien particulier avec la Suisse ? » La réponse est : « Oui ! » Ma mère est suisse, donc je suis suisse moi-même, et je suis particulièrement heureuse que nous ouvrions à Genève. Je suis valaisanne, j’ai beaucoup de cousins dans la région de Lausanne et de Sion.
LA : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
E.B. : Que la rencontre se fasse entre notre marque et les clients ! Nous espérons un lancement doux, réussi, où les clients auront le plaisir de découvrir une nouvelle marque qui leur plaît. C’est l’ambition que nous portons pour Figaret.
Pour conclure,
Sous la direction d’Éléonore Baudry, la maison Figaret a su conjuguer tradition et modernité, apportant un souffle neuf sans jamais défaire les coutures de son héritage. Chaque chemise, chaque collection, chaque détail devient ainsi une déclaration : celle d’un luxe qui prend son temps, d’une beauté qui s’ancre dans la durée, d’une maison qui préfère le murmure à l’éclat tapageur.
À la tête de cette renaissance, Éléonore Baudry est une personne rare : quelqu’un de cosmopolite, façonnée par ses expériences internationales, déterminée, et dotée d’une vision ambitieuse, mais toujours concrète. Elle est attentive aux racines autant qu’aux aspirations, cultivant un équilibre délicat entre exigence commerciale et quête esthétique. Pour elle, chaque décision, chaque collaboration, chaque détail compte, car il s’agit, au fond, de faire vibrer une maison patrimoniale au rythme du monde contemporain.
Finalement, chez Figaret, on ne se contente pas de coudre des chemises : on tisse des histoires, on boutonne des rêves, on repasse le passé pour mieux l’ouvrir sur demain. Car ici, l’élégance n’est pas qu’une affaire de fil et d’aiguille, elle est une littérature à porter, une écriture patiente qui trace, couture après couture, les chapitres d’un futur désirable.
José Amorim
Les informations de cet article ont été recherchées et compilées exclusivement pour LuxuryActivist.com. Tout le contenu est protégé par le droit d’auteur et ne peut être reproduit, distribué ou transmis sans autorisation écrite préalable. Les images sont la courtoisie de Figaret Paris.